Abstract
In this article, the author focuses on the circularity of mythical structures and the failure of historical projects, like the Mexican Revolution. Beyond the presence of twins and doubles, the recurring familial structure, to be observed in three key historical periods, of the father, legitimate son and illegitimate son or symbolic heir, underlines dual or alternative forces in Mexican history and the Mexican state of mind. By taking Dante's Divine Comedy as an essential paradigm, the author sheds light on a structure based on the redemption of the past in a symbolical and broadly defined Christian world. Finally, by relying on the notion of intertextuality, he demonstrates how the inter- and intratextual presence of José Gorositza comes to question the Dantean redemption thus depriving it of its meaning.
Keywords : Fuentes, Mexico, XXth century, Cycles, Father and Sons, Twins, Trinity, Redemption, Ideals
Introduction. Destin et Liberté
La Mort d’Artemio Cruz décrit douze jours dans la vie d’un puissant entrepreneur mexicain, racontés depuis le lit de mort de ce dernier. Ses liens avec trois familles sont évoqués, sur une période qui recoupe l’histoire du Mexique, de l’Indépendance à 1959. La vie de Cruz semble incarner les promesses, les fruits et la trahison de l’histoire mexicaine moderne. Son enfance dans la province de Veracruz est décrite comme une Arcadie jusqu’au moment où il abat son oncle. Pendant la Révolution, il vit une histoire d’amour idyllique jusqu’à ce que son amante soit pendue, et il est acclamé comme un héros après avoir fui une bataille et abandonné un compagnon blessé. Il survit à la Révolution en reniant habilement ses engagements ; il commence à faire fortune en détournant la distribution immobilière à Puebla ; acquiert un terrain constructible à Mexico en dénonçant un prêtre abrité par sa femme aux autorités pendant la guerre des Cristeros. A l’heure de sa mort, toutes les phases de son existence, tous les choix pour survivre et prospérer, l’ont transformé en un homme monstrueusement amer, arrogant, incapable d’amour, sans espoir et ayant renié tous les idéaux de sa jeunesse. Comme lui, la Révolution a été salie par les affaires des grosses entreprises avec les capitaux étrangers, le cynisme institutionnel.
Cette histoire de corruption au déterminisme effrayant ne constitue qu’une des structures temporelles et idéologiques à l’œuvre dans La Mort d’Artemio Cruz. Le roman reflète aussi une bonne dose d’idéalisme et un véritable sens de l’optimisme ressenti par Carlos Fuentes au moment de son écriture, comme c’est le cas dans son traitement de la guerre civile espagnole1. En fait, le roman mêle un nombre remarquable de structures différentes et fils discursifs pour tisser une trame riche et complexe. Sa signification ne peut donc être comprise en suivant un seul de ces fils mais plutôt en envisageant leur interaction dialectique. Par opposition à la vision de la Révolution comme épopée, il pose l’histoire, la temporalité et la trahison à distance de l’idéal qui semble avoir la force du destin. Mais à l’histoire en tant que processus linéaire, il oppose la circularité du mythe, et le type de grille de choix complexe et récurrente à chaque nouvelle génération perceptible dans La Plus Limpide Région. A ces structures mythiques et à l’échec des projets historiques, il oppose la ligne droite de l’eschatologie chrétienne, une structure de la rédemption inspirée de la chrétienté médiévale, un renversement de la chute dans le temps, un retour à l’impulsion historique originelle sauvée des ravages du déterminisme historique. L’utopie hante les pages de La Mort d’Artemio Cruz.
Fuentes est revenu à plusieurs reprises à l’exploration de la rencontre des genres dans la littérature hispanoaméricaine -mythe, utopie, épopée, poésie lyrique, roman etc…- qui reflète les complexités de la conception et des réalités du Continent. En 1971, dans Temps mexicain, il envisage la chute possible de Quetzalcoatl devenu Pepsi-coatl sous l’influence du néo-colonialisme et la présence de l’utopie dans le roman : « la base de nuestra narrativa moderna, que es transgresión de la norma épica por la herejía utópica: epopeya / espacio violados por novela / utopía que crea su propio tiempo. México no está fatalmente abocado al tiempo de Pepsicóatl2 ». Plus tard, dans un article d’abord publié dans Vuelta en 1983, il pose Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne de Bernal Díaz del Castillo comme origine de la littérature hispanoaméricaine, de par la rencontre fondatrice qui s’y produit entre la chronique et l’envolée lyrique, la réalité et le désir :
En el Nuevo Mundo las expectativas exageradas de la Utopía, su victimación por la Épica y el refugio de aquéllas en un barroco doloroso establece de inmediato dos grandes tradicciones: la crónica que apoya políticamente la versión épica de los hechos y la lírica que crea otro mundo, la historia en la cual todo lo asesinado y sofocado por la historia épica tenga cabida. Bernal es la fuente secreta de la novela hispanoamericano: su libro recuerda, recrea, ama y lamenta, pero se ofrece como « cónica verdadera »3.
Les différentes causalités ou lectures génériques soulignées ci-dessus sont facilitées par l’organisation formelle du roman. Artemio Cruz raconte son histoire en utilisant trois voix, YO, TÚ, et ÉL, aux temps présent, futur et passé, dans des séquences successives à l’occasion de chacun des douze4 moments historiques. Les cartes de la succession temporelle sont rebattues jusqu’au vertige, à mesure que les douze périodes sont relatées en dehors de l’ordre chronologique, ce qui permet à Fuentes de construire, et au lecteur de développer mentalement, un fascinant réseau multidirectionnel à partir des différents liens et échos formels entre les épisodes.
Mon étude portera principalement sur deux des causalités ou genres, dont la rencontre rend mémorable la lecture du roman. La première est la structure familiale récurrente, observable dans trois périodes historiques clés, du père, fils légitime et fils illégitime ou héritier symbolique, qui souligne des forces duelles ou alternatives dans l’histoire et l’état d’esprit mexicain. La deuxième est la structure de la rédemption du passé dans un monde symbolique chrétien au sens large, les retrouvailles avec les promesses trahies de l’histoire. Je poserai La Divine Comédie de Dante comme expression paradigmatique d’une telle rédemption pour éclairer les retrouvailles utopiques dans le roman, la transformation du destin en liberté/libre-arbitre. Enfin, j’essaierai de montrer comment à son tour la présence intertextuelle de José Gorositza remet en question la rédemption dantesque et vide ses termes de leur sens
Deux temporalités mexicaines, deux options
Le destin et le libre-arbitre/liberté peuvent être pris comme métonymes pour toute une série d’oppositions que le roman tisse. Ils sont aussi bien représentés par la vision des deux Mexique expérimentée par Rodrigo Pla, Ixca Cienfuegos et Manuel Zamacona dans La Plus Limpide Région, le monde du tú et le monde du ustedes. Artemio Cruz hérite d’une tierra de communauté perçue par les émotions et forgée par les luttes, et il lègue un país de séparation, aliénation et corruption :
heredarás la tierra no verás otra vez esos rostros que conociste en Sonora y en Chihuahua, que un día viste dormidos, aguantándose, y al siguiente encolerizados, arrojados a esa lucha sin razones ni paliativos, a ese abrazo de los hombres a los que otros hombres separaron, a ese decir que aquí estoy y existo contigo y contigo y contigo también, con todas las manos y todos los rostros velados: amor, extraño amor común […] legarás este país, legarás tu periódico, los codazos y la adulación, la conciencia adomrecida por los discursos falsos de hombres mediocres […] les legarás sus líderes ladrones, sus sindicatos sometidos, sus nuevos latifundios, sus inversiones americanas. (276-7)
Cruz présente une dualité fatale. Les miroirs du passage suivant le montrent marchant simultanément vers Madero, qui représente l’honnêteté et la réforme, et vers une réunion avec des partenaires nord-américains au cours de laquelle il trahira complètement les idéaux nationalistes de la Révolution : « se ajustó la corbata frente a vidrio del vestibulo y atrás, en el segundo vidrio, el que daba a la calle de Madero, un hombre idéntico a él, pero ten lejano […] le daba la espalda y caminaba hacia el centro de la calle, mientras él buscaba el ascensor, desorientado por un instante » (22).
L’aliénation politique va de pair pour Artemio avec le flétrissement de l’amour qu’il peut donner. Son image dédoublée dans le miroir trouve un écho dans la barrière que son orgueil dresse entre lui et sa femme Catalina, le miroir ou l’étang de Narcisse, dans lequel tous deux risquent de se noyer ou se sont peut-être déjà noyés. Lorsque Catalina caresse, tardivement, le front d’Artemio sur son lit de mort, le mur se fissure et laisse émerger le texte :
Ella también pensará en su orgullo. Ahí nacerá la chispa. Allí la escucharás, en ese espejo común, en ese estanque que reflejará los rostros de ambos, que losahogará cuando traten de besarse el uno al otro, en el reflejo líquido de sus rostros: ¿por qué no miras a un lado?; allí estará Catalina en su carne. (92)
Artemio est lui-même divisé, mais cette division est aussi reflétée dans les divers types de doubles qui permettent à Fuentes de créer la structure fondée sur l’hérédité ci-dessus mentionnée. Le soldat blessé qu’il laisse mourir est un jumeau qui incarne la mort de sa propre solidarité : « si tuviese los ojos verdes, sería su gemelo… » (75). Ce soldat pourrait de fait être le jumeau d’Artemio au sens propre du terme : après avoir donné naissance à Artemio, Isabel Cruz « ya gemía con una nueva contracción » (315). Son fils Lorenzo qui meurt en héros en Espagne est un reflet inversé de l’idéalisme trahi d’Artemio, tandis que Jaime Ceballos, présenté à la fin du roman comme son héritier symbolique, est un reflet fidèle du cynisme de Cruz.
Cruz est présenté comme participant de deux sortes de temporalité, le temps déchu, non authentique et le temps plein, transcendantal. On retrouve ce questionnement mutuel entre deux sortes de temporalités dans « Himno entre ruinas » d’Octavio Paz : « todo es dios […] La luz crea templos en el mar. / Nueva York, Londres, Moscú. La sombra cubre al llano con su yedra fantasma5 ». Dans La Plus Limpide Région, Federico Robles a expérimenté le temps de la plénitude avec Mercedes et semble le retrouver avec Hortensia dans le retour à la terre de la fin du roman. Dans La Mort d’Artemio Cruz, la question d’un retour à un temps originel quel qu’il soit est plus complexe et problématique, mais l’impulsion utopique est une force fondamentale qui sous-tend le roman. Une Arcadie du passé est projetée sur une utopie du futur. On assiste à une sorte d’union des contraires. Les vagues de la mer auxquelles le roman retourne si souvent, comme dans la scène paradisiaque au cours de laquelle Lilia et le bien-nommé Xavier Adame se baignent et font l’amour dans l’océan Pacifique à Acapulco, illustrent cette fusion désinhibée des opposés : « - otras las mismas - siempre en movimiento y siempre idénticas, fuera el tiempo, espejo de sí mismas, de las olas del origen, del milenio perdido y del milenio por venir » (157). Pourtant dans la réalité sociale, juste derrière l’opulent front de mer cosmopolite, les pêcheurs nus, leur « chozas con niños barrigones, perros sarnosos, riachuelas de aguas negras, triqunia y bacilos » témoignent d’une autre temporalité mexicaine : « Siempre los dos tiempos, en esta comunidad jánica, de rostro doble, tan lejana de lo que fue y tan lejana de lo que quiere ser ». (151)
Dans la cosmologie nahua, l’union de l’origine et du futur se conjugue dans les cycles de cinquante- deux ans, au terme desquels des sacrifices sont accomplis pour assurer la renaissance du soleil, le début d’un nouveau cycle (TM, 27). Il a été avancé que la fête du Nouvel An, organisée par Cruz dans son manoir de Coyoacán, cinquante-deux ans après le début de sa vie d’adulte, tournant le dos à ses origines à Cocuya, s’inscrit dans ce schéma6. L’exaltation de la fête n’est cependant pas suivie d’une quelconque renaissance, mais par un retour malveillant au status quo. Dans Temps mexicain, Fuentes résume les deux temporalités évoquées ici à travers deux figures : Quetzalcoatl et Hermán Cortés. Quetzalcoatl, le Serpent à plumes, dieu de la Création, des cultures et des semences, était en exil dans l’est et son retour est attendu avec impatience ; origine et futur bienveillant ne feraient alors plus qu’un. : « el regreso de Quetzalcoátl, el retorno al origen sin separación, idéntico al encuentro con un futuro bienhechor » (TM, 22). A sa place arrive cependant le conquistador Hermán Cortés pour détruire « el tiempo y el espacio inventados para recibirlo », pour apporter le génocide et une religion étrangère. Mais la tradition hispanique en Amérique latine est, selon Fuentes, duelle, en ce qu’elle dissimule sous un organicisme médiéval et impérial l’individualisme de la Renaissance et la tradition de l’utopisme. L’opposition entre ces deux figures est centrale à la sténographie historique de Fuentes, métaphore d’une opposition déjà centrale à La Plus Limpide Région. Dans Terra Nostra le personnage du Peregrino est tour à tour Quetzacoatl dans la plus grande partie de la narration puis un Cortés cruel au cours des nemontani ou días enmascarados. On peut voir Artemio Cruz comme un avatar de son cousin phonétique Hermán Cortés : leurs carrières mexicaines débutent à Veracruz : le « viol » de Doña Marina, viol et rencontre fondatrice, est celui de Regina et de la conception d’Artemio ; don Gamaliel à Puebla, dont l’empire est repris par Cruz, joue le rôle de l’empereur aztèque Moctezuma, remplacé par Cortés. Fuentes ajoute que tous deux ont eu une épouse nommée Catalina7. Ce n’est par conséquent peut-être pas un anachronisme que d’utiliser les deux figures de Quetzalcoatl et de Cortés pour décrire les paires récurrentes dans le roman de l’homme d’action puissant et du fils idéaliste absent, ainsi que des deux temporalités qu’ils représentent.
L’ambigüité et la dualité des débuts de la Nouvelle-Espagne trouvent un écho dans la manière dont des épisodes clés du roman sont présentés en deux versions distinctes. Les deux événements fondateurs dans la vie d’Artemio, sa naissance et sa rencontre avec Regina, fusionnant tous deux avec l’image de la mer et projetés sur l’avenir comme un paradis à retrouver, témoignent de cette nature duelle. L’amour d’Artemio pour Regina est une union totale, où l’on ne fait qu’un avec l’univers et les débuts du temps ; lorsqu’ils font l’amour, ils sont « reducidos al encuentro del mundo, a la semilla de la razón, a los dos voces que nombran en silencio, que adentro bautizan todas las cosas » (67). Le souvenir de leur première rencontre est idyllique : « Te acuerdas de aquella roca que se metía al mar come un barco de piedra ? […] Se forma une laguna entre las rocas y uno puede mirarse en el agua blanca. Allí me miraba, y un día apareció tu cara junto a la mía » (66). Mais leur union est fondée sur un mensonge, une « hermosa mentira » (82), leur souvenir est un passé racheté ou embelli. En fait, Regina est la première inconnue que Cruz a rencontré en entrant dans une ville conquise, elle fut juchée sur la selle de son cheval et « violada en silencio en el dormitorio común de los oficiales, lejos del mar, dando la cara a la sierra espinosa y seca » (83)8. Cet acte de falsification ou de transformation est une répétition des origines d’Artemio lui-même, présentées comme une vie paradisiaque, sous les tropiques, au bord d’une rivière côtière, à pêcher et nager dans les eaux claires et travailler en harmonie avec le mulâtre Lunero : « Todo el tono de fruta verde corría por los brazos delgados y el pecho firme, hecho a nadar corriente arriba, con los dientes brillantes en carcajada del cuerpo refrescado por el río de fondo herbáceo y riberas legamosas » (283). Ce n’est qu’à la fin du roman que nous apprenons qu’Artemio lui-même est le fruit d’un viol, que sa mère Isabel, la sœur de Lunero, fut l’une des nombreuses victimes prises par la force par l’hacendado Atanasio Menchaca.
Ainsi Artemio est un hijo de la chingada avant de confirmer la malédiction de la Malinche qui se perpétue en prenant à son tour le masque de chingón. Alors qu’il s’apprête à nouveau à changer de bord politique et à dénoncer le Père Páez, comme Robles avait sacrifié Feliciano Sánchez avant lui, en échange des faveurs du président Calles, le gros policier est explicite : « ¿A poco no somos los mejores chingones ? ¿Sabes ? Escoge siempre a tus amigos entre los grandes chingones porque con ellos hay quien te chingue a tí » (129). Travesti aliéné du temps cyclique aztèque, la réalité mexicaine est vue comme obéissant à la règle selon laquelle un outrage ne peut être vengé que s’il est à nouveau imposé. La voix TÚ d’Artemio parle de « el ultraje que lavaste ultrajando a otros hombres » (147). La grand-mère d’Artemio, Ludivinia, est presque naturellement consciente de ce motif de répétition : « ¿Vienes a decirme que no hay tierras ni grandeza para nosotros, que otros se han aprovechado de nosotros como nosotros nos aprovechamos de los primeros, de los originales dueños de todo ? » (296). Les dépossédés dépossèdent à leur tour. Cela paraît être la signification du refrain énigmatique d’Artemio sur son lit de mort : « regresaron, no se dieron por vencidos » (271). Les villistas que les hommes d’Artemio pensaient avoir vaincus reviennent au village et pendent Regina en l’absence de Cruz. Le mot intraduisible chingada, dont on trouve une analyse mémorable dans Le Labyrinthe de la solitude d’Octavio Paz, finit par signifier le déterminisme de la cruauté et la déshumanisation dans le déroulement de l’histoire de Cruz et dans l’histoire du Mexique dont il est emblématique, une sorte de destin mexicain que l’écriture du roman conteste. La voix TÚ s’insurge face à son pouvoir : « déjala en el camino, asesínala con armas que no sean las suyas: matémosla: matemos esa palabra que nos separa, nos petrifica, nos pudre con su doble veneo de ídolo y cruz: que no sea nuestra respuesta ni nuestra fatalidad » (146).
Le motif « regresaron, no se dieron por vencidos » renvoie aussi à la manière qu’ont les morts à qui Cruz a survécu, et à qui il doit sa survie et son pouvoir, de lui revenir constamment en mémoire. La mémoire devient l’endroit où l’irréversible processus de la chingada est contesté9. Les voix plurielles des autres contestent et dissolvent le pouvoir de l’individu, les choix de la vie de Cruz entre communauté et pouvoir sont à nouveau posés, leurs promesses deviennent une virtualité constante.
Le motif à travers l’histoire
La Mort d’Artemio Cruz relate des drames familiaux qui se déroulent au cours de trois périodes historiques, pendant lesquelles un groupe au pouvoir remplace son prédécesseur, chaque groupe promettant de grands progrès, chacun reproduisant les traits négatifs du régime précédent. Les trois périodes sont les régimes dominés par les Créoles après l’Indépendance, le Libéralisme, la Révolution. C’est le Général Antonio López de Santa Anna, qui fut président onze fois entre 1833 et 1855, qui représente le mieux la première période. L’indépendance gagnée aux Espagnols et aux Bourbons portait les promesses d’un avenir plein de fiertés et de richesses pour le vaste pays qu’était le Mexique. Mais alors qu’il était en exil à la fin de sa vie, ce héros d’opérette qui n’aimait rien autant que les paris et les combats de coqs, et qui avait organisé des funérailles pour la jambe qu’il avait perdue lors d’une bataille, avait subi la perte du Texas, l’invasion des troupes américaines en 1847 et la perte de la moitié du territoire national10. La deuxième période dont le champion est le Libéral Benito Juárez, président de 1858 à 1872, fut le théâtre de la tentative de modernisation du pays, en réduisant les forces conservatrices traditionnelles de l’église, l’armée, les caciques régionaux, et les communautés villageoises indiennes. La loi Lerdo de 1856 et la Constitution radicale de 1857 cherchaient à taxer les propriétés de l’Eglise et remplacer la propriété collective par une nouvelle classe de petits fermiers capitalistes. Mais la guerre civile avec les conservateurs (1858-1861), l’intervention française et l’Empire de Maximilien (1864-1867), parmi d’autres, entraîna l’acquisition des terres par de riches propriétaires terriens : « Cela n’a donc fait qu’augmenter la puissance économique et la cohésion politique d’une classe déjà dominante de riches hacendados11 ». Le virage suivant est la Révolution et les guerres civiles de 1910 et 1917 qui apportèrent leur propre réforme agraire et leur nouvelle oligarchie dont seule la rhétorique la distinguait des précédentes.
Chacune de ces périodes est représentée par une figure patriarcale qui prend la place de son prédécesseur déchu : Ireneo Menchaca, Gamaliel Bernal et Artemio Cruz. Ireneo Menchaca reçut de Santa Anna des milliers d’hectares de terre sur la côte tropicale de Veracruz, qui avaient été extorqués aux indiens qui en étaient les propriétaires d’origine, étaient cultivés par une main d’œuvre nègre des Caraïbes bon marché, et se trouvèrent étendus par des hypothèques imposées aux petits propriétaires de la région (292). Après 1855, il fallut revenir à Mexico pour défendre la terre contre les juaristas et offrir leur domaine aux troupes françaises de Napoléon III pour assurer une base contre les Libéraux (188). Ireneo meurt à Campeche après avoir pris part à un retour avorté de Santa Anna après la mort de Maximilien. La maison est en grande partie incendiée en 1868 par les juaristas et le fils tué en 1889 par les nouveaux propriétaires à présent fermement établis sous Portfirio Díaz.
Cette classe, qui a remplacé les Menchacas, est représentée par Gamaliel Bernal, homme d’affaires de Puebla, qui avait acquis pour presque rien des terres appartenant à l’Eglise après le désamortissement de Lerdo. Un Catholique indigné raconte l’histoire à Cruz : « todo lo que tiene se le robó a la cura, allá cuando Juárez paso a remate los bienes del clero y cualquier comerciante con tantito ahorrado pudo hacerse de un terrenal inmenso… » (43)
Bernal est chassé par l’officier révolutionnaire Artemio Cruz, petit-fils d’Ireneo Menchaca, dépossédé par les Libéraux qui ont donné le pouvoir à Bernal. Cruz parvient à un accord avec Bernal qui admet que « hay que pagar un precio para sobrevivir » (42). Cruz épouse sa fille et reprend les dettes qui lui sont dues avec la promesse de rendre un quart de tout ce qu’il touchera (48). Cruz prend en charge la réforme agraire dans la région après 1919 mais se réserve les meilleures terres, ruine les propriétaires terriens voisins par des prêts exorbitants, bradant leurs terres en lots en échange de biens fonciers à Puebla, tout en les promettant aux campesinos locaux et en se faisant élire diputado pour la région. Comme le sent bien Bernal, Cruz n’est pas tant un individu que l’incarnation d’un nouveau cycle : « Artemio Cruz. Así se llamaba, entonces, el nuevo mundo surgido de la guerra civil ; así se llamaban quienes llegaban a sustituirlo. Desventurado país […] que a cada nueva generación tiene que destruir a los antiguos possedores y sustituirlos por nuevos amos, tan rapaces y ambiciosos como los anteriores » (50).
Vers la fin du roman, on comprend que Cruz a lui-même un successeur symbolique en la personne de Jaime Ceballos, le héros de Les bonnes consciences, dont le beau-père, Roberto Régules avait joué un rôle important dans la dépossession de l’équivalent de Cruz dans La Plus Limpide Région, Federico Robles.
A la fin de chaque cycle, une dualité significative est incarnée par les deux fils de chaque patriarche, qui expriment le choix entre survie, opportunisme et idéalisme, et coïncident dans une certaine mesure avec la disjonction Cortés-Quetzalcoatl. Menchaca a deux fils légitimes, Atanasio et Pedrito, tandis que Gamaliel Bernal et Artemio Cruz ont eu un fils légitime qui incarne le meilleur d’eux-mêmes et un héritier symbolique ou usurpateur : Gonzalo Bernal et Artemio Cruz, Lorenzo Cruz et Jaime Ceballos.
Après le retour d’Ireneo Menchaca à son hacienda de Veracruz, son fils Atanasio, « el hijo de los ojos verdes, vestido de blanco sobre el caballo blanco […] cabalgando sobre la tierra feraz con el fuete en el puño, pronto a imponer su voluntad decisiva » (292), défend les terres avec une vigueur égale à celle dont il fait preuve pour violer les campesinas du coin, et y réside jusqu’en 1889. Pendant ce temps, Pedrito poursuit une vie de frivolités dans les salons de Mexico sans réel revenu financier. Lorsqu’Anastasio est assassiné, victime d’un piège lui proposant de venir récupérer les restes de son père, retrouvés dans un cimetière de Campeche, Pedrito, qui était présent et portait une arme à feu, l’abandonne à son sort, ce qui rajoute un élément de fratricide virtuel à l’opposition des deux frères en termes de légitimité. Le fils vigoureux, fidèle à sa famille et à sa classe, meurt ici alors que le lâche, parasite et alcoolique, survit.
Le fils légitime de Gamaliel Bernal, Gonzalo, bien qu’hédoniste, a trahi la classe de son père en rejoignant contre elle la Révolution. Artemio aurait pu régler le sort de Gonzalo par un peloton d’exécution, mais alors que ce dernier préfère mourir en idéaliste plutôt que de se compromettre, Artemio abandonne son compagnon et, avec une adresse machiavélique, prend la place de Gonzalo comme héritier de la fortune de Bernal.
Cruz devient le nouvel oligarque révolutionnaire et permet à son fils Lorenzo de passer du temps à la hacienda qu’il a achetée et restaurée près de la côte de Veracruz. Contre la volonté de sa mère, Lorenzo choisit de partir en Espagne pour se battre de manière idéaliste pour la cause perdue de la République espagnole, perçue comme un miroir de la Révolution mexicaine, et il meurt en héros en 1939 alors que son père a choisi la survie à tout prix. Jaime Ceballos, le « jumeau » de Lorenzo, est son opposé, et identique à Artemio de par son cynisme et sa soif de succès.
Jeux textuels
Si ces motifs générationnels ont été résumés de manière schématique, ils n’émergent de fait que progressivement pour le lecteur fasciné et captivé par un réseau complexe d’échos intra-textuels, un ordre flou perçu par fragments à travers l’esprit nébuleux et tourbillonnant d’Artemio Cruz agonisant. La dislocation temporelle et les trois voix du dialogue révèlent des éléments textuels à combiner pour reconstruire différents fils et causalités rivales. Par ailleurs, les motifs qui se font jour possèdent une force archétypale et déterministe effrayante. L’impression de métempsychose et de procédés magiques rapproche le roman d’œuvres ouvertement fantastique comme le bref roman Aura publié la même année. La sorcière Consuelo y réincarne son mari, un général mexicain de l’Empereur Maximilien, décédé depuis longtemps, en la personne d’un jeune historien, tout comme Ludivinia, telle une magicienne, voit en le jeune Artemio la survivance de son fils disparu, Atanasio.
Fuentes utilise toute un ensemble de techniques pour suggérer les identifications et parallèles entre les personnages et les situations. Ces techniques ne seront égalées que dans les années soixante dans les romans de Mario Vargas Llosa, comme La Ville et les chiens. Parmi elles, on trouve des parallèles de situations, des répétitions d’expressions, des commentaires de l’auteur s’insinuant dans les pensées d’un personnage, des cérémonies magiques, des mythes. Un procédé efficace s’il en est se trouve dans la référence récurrente à l’arme à feu à deux balles, qui apparait dans cinq scènes impliquant quatre personnages différents. Pedrito n’utilise pas l’arme qu’il porte sur son cheval pour défendre son frère Anastasio, mais il la garde prête et bien huilée ; à l’âge de treize ans, quatorze ans plus tard, Artemio l’utilise pour tuer l’enganchador de l’hacendado local et permettre à Lunero, le frère mulâtre de sa mère, de s’enfuir, mais en tirant en l’air depuis le sous-bois il tue Pedrito, le frère créole de son père Anastasio ; dans les Pyrénées espagnoles enneigées, Lorenzo utilise le même type d’arme, à présent rouillée et inutile, pour tirer, à nouveau vers le haut, sur les avion nazis, afin de couvrir la retraite des réfugiés en fuite. L’arme à feu apparait aussi dans le duel entre Cruz et l’officier villista Zagal au cours de la Révolution mexicaine et dans le duel parallèle de roulette russe avec le gros comandante de policía au moment des événements de la guerre des Cristeros, les rivaux d’Artemio lui laissant la vie sauve dans les deux cas. L’indice contient en lui-même une signification symbolique : il s’agit à l’évidence d’un symbole phallique, et les deux balles évoque la dualité. Cette signification souligne et amplifie celle de la situation dans laquelle elle se développe, suggérant par exemple qu’un homme sur deux meurt d’ordinaire au cours d’un duel et qu’un autre homme meurt en échange, de manière sacrificielle, avant ou après le duel : le Père Páez est remis aux autorités après l’expérience vécue avec le gordo et Gonzalo est exécuté avant le duel avec Zagal. On souligne là la tension entre choix et hasard : le hasard inhérent à la roulette russe et au duel par opposition au choix de Cruz dans les deux scènes entre les groupes politiques (Carranza-Villa, Obregón-Calles) ; le hasard qui amène Artemio à tuer Pedro involontairement par opposition à son choix de défendre Lunero. D’abord présenté comme un attribut, et métonymiquement comme le tout d’un personnage, il prend avec lui, lorsqu’il est attribué à un autre personnage, la signification de la première situation. L’identité du premier détenteur de l’attribut se superpose à celle du second, ce qui contribue de manière efficace à créer la notion d’une mémoire collective transmise de génération en génération.
Les patriarches Ireneo, Gamaliel et Artemio sont liés par des images de mort et de chiens. Ireneo meurt « en el verano sin letrinas, hinchado de agua putrefacta » (293) tout comme son petit-fils Artemio, dont l’abdomen enflé n’est soulagé que lorsqu’il vomit ses propres excréments. Don Gamaliel lorsqu’il rencontre Cruz pour la première fois est accompagné d’un molosse : « El mastín saltó con la alegría y lamió la mano del amo » (39). A la fin de la vie d’Artemio, lors de l’interview parallèle avec Jaime Ceballos, il est accompagné de deux molosses, qui le tirent presque hors de son siège devant le photographe.
La grand-mère de Cruz, Ludivinia, prévoit et contrôle presque par magie tout le mécanisme de l’héritage. Née en 1810, l’année du « grito de Dolores », elle est contemporaine de la naissance de l’Indépendance mexicaine. Le premier « grito » a lieu cent-vingt-neuf années avant le second cri de Dolores, la Lola dont le hurlement, au moment de la mort de Lorenzo en Espagne, clôt tout le cycle des espoirs de Cruz. Ludivinia vit une trentaine d’années dans la zona sagrada de sa chambre de Cocuya, où même le feu des juaristas et de l’histoire n’osent pénétrer. Comme Consuelo dans Aura, dans la décrépitude du grand âge, elle fait des efforts grotesques pour retrouver sa jeunesse : « Seguía aquí, tratando de cumplir desde el lecho revuelto los ademanes de la joven hermosa y blanca que abrió las puertas de Cocuya al largo desfile de prelados españoles, comerciantes franceses, ingenieros escoceses […] » 5291). Ludivinia est la mémoire de l’incarnation du Mexique : « traía emplastada en el cerebro la memoria de un siglo y en los surcos del rostro capas de aire y tierra y sol desaparecidos » (291) ; « creía ser el centro que anudaba la memoria y las presencias circundantes » (298). De par cette mémoire de sa race et le long enfermement dans sa pièce sacrée, elle est capable de dicter l’avenir, de réincarner les morts. Elle se tourne finalement vers le jeune mulâtre qu’elle a surveillé pendant tant d’années, et qu’elle a « élevé en accord avec son pressentiment » : « une forma humana […] que sólo ahorra deseaba tocar y llamar por su nombre, en vez de criarla en el presentimiento » (306). Elle vivra et survivra à travers lui par le souvenir : « aún existiría un margen de vida fuera de su siglo de recuerdos: una oportunidad de vivir y querer a otro ser de su sangre » (298). C’est Ludivinia qui prononce la malédiction, la « maldición natural » qui deviendra le destin dans le roman, lorsqu’elle hurle pour son fils Pedro et l’enganchador : « Chingao ! » (297, 306). De Ludivinia, Artemio hérite donc la mémoire, à laquelle s’ajoute la mémoire accumulée de tous ceux qui meurent pour lui : l’enfer de la mémoire qui constitue le texte du roman.
Cruz à la croisée des chemins
Deux relations centrales dans le roman sont celles d’Artemio et son double/jumeau Gonzalo Bernal, et d’Artemio et ses héritiers alternatifs, Lorenzo et Jaime Ceballos. Cruz et Gonzalo Bernal se rencontrent dan une prison villista, comme, en fait, Gervasio Pola et ses compagnons avant eux, alors qu’ils attendent ensemble leur exécution. Alors que Cruz ferait tout ce qui est possible pour survivre, Gonzalo prend consciemment le rôle du martyr d’une cause perdue, et en véritable puriste et idéaliste il croit que « hay deberes que es necesario cumplir aunque se sepa de antemano que se va al fracaso » (196). Ils représentent l’opposition claire de la pensée et de l’action, de l’idéalisme et l’opportunisme. Mais Artemio est affecté par la présence de Gonzalo, qui exprime des pensées analogues, des souvenirs qu’Artemio essaie désespérément d’écarter, et devient du coup un ennemi formidable : « ese nuevo enemigo armado de ideas y ternuras que sólo estaba repitiendo el mismo pensamiento oculto del capitán, del prisionero, de él » (197). L’opposition entre l’ouverture et la fermeture est momentanément résolue dans l’ « abrazo violento » entre les deux hommes, alors qu’Artemio s’efforce de réduire Gonzalo au silence, pour faire taire sa propre mémoire. Cette embrassade agressive est également caractéristique d’autres doubles chez Fuentes, comme dans le combat final entre Frantz et Javier dans la pyramide de Cholula dans Peau neuve.
Ce moment représente la fin d’un cycle : « ¿Para qué ilusionar a esos pobrecitos con un nuevo sol ? » (198), commente Zagal, leur ravisseur. S’il y a une renaissance, et le soleil se lève bien juste après la mort de Gonzalo, il y a alors une tension entre les conceptions nahua et chrétienne : Gonzalo meurt solidaire des Indiens Tobías pour recréer les conditions d’un nouveau cycle : Artemio survit mais, comme le Christ, doit porter la croix de la vie et des péchés des Mexicains. La mémoire est centrale au processus d’héritage, Gonzalo nous invite à nous souvenir : « Dicen que es bueno recordar » (191), tandis qu’Artemio s’y refuse, essaie de « disfrazar esa ansia de recuerdo » (189). « No hay mucha vida por detrás » (191), ment-il. Mais après le « violento abrazo » avec son « nouvel ennemi », Artemio prend soudain conscience de son rôle de mémoire vivante et décide de vivre et survivre, de manière à ce que son amante morte Regina continue de vivre en lui :
Ėl solo sentía ese dolor perdido de Regina, esa memoria dulce y amargua que tanto había escondido y qua ahora brotaba, a flote, pidiéndole que siguiera viviendo, como si una mujer muerta necesitara del recuerdo de un hombre vivo para seguir siendo algo más que un cuerpo devorado por los gusanos en un hoy sin nombre, en un pueblo sin nombre. (198)
Artemio prend en lui non seulement la vie et la mort de Regina mais aussi les possibilités inaccomplies de la vie de Gonzalo en même temps que son héritage matériel. Le fait qu’Artemio ne fasse plus qu’un avec son double et son opposé lui permet à son tour de se scinder en deux lorsqu’il arrive au terme de sa propre destinée. Et de déléguer les promesses non tenues de Gonzalo à un autre, son fils Lorenzo. Dans un moment de lucidité, Artemio est parfaitement conscient de la logique de cet héritage :
La ironía de ser él quien regresaba a Puebla, y no el fusilado Bernal, le divertía. Era, en cierto modo, una mascarada, una sustitución, una broma que podía jugarse con la mayor seriedad; pero también era un certificado de la vida, de la capacidad para sobrevivir y fortalecer el propio destino con los ajenos […] sintió que entraba duplicado, con la vida de Gonzalo Bernal añadida a la suya, con el destino del muerto sumado al suyo: come si Bernal, al morir, hubiese delegado las posibilidades de su vida incumplida en la de él. Quizás las muertes ajenas son las que alargan nuestra vida, pensó. (43)
Gamaliel Bernal accepte Artemio comme son héritier, et s’incline devant la nécessité historique et la fatalité, comme Moctezuma peut-être face à Cortés, mais aussi parce qu’il reconnaît en sa personne un survivant comme lui-même.
Le dernier couple de jumeaux est constitué par Lorenzo et Jaime Ceballos, Quetzalcoatl et Cortés. L’identification de Lorenzo au premier semble être suggérée lorsque « el brazo levantado del muchacho indicará hacia el horizonte, por donde salió el sol » (225). Les deux ne se rencontrent jamais et ne sont contrastés que dans leur relation avec la figure du père. Cruz force Lorenzo à faire ce qu’il n’a pas fait, racheter sa vie : « lo obligarás a hacer lo que tú ni hicicte, a rescatar tu vida perdida » (246). Au cours de la guerre civile espagnole, Lorenzo vit les idéaux trahis par son père pendant la Révolution mexicaine. L’épisode est relaté dans un passage à la troisième personne et le lecteur lit d’abord le Ėl qui renvoie à Lorenzo comme faisant référence à Cruz, les identités se trouvant ainsi brouillées. De fait, Cruz reconnait avoir inventé les détails de l’épisode : « ah, soñé, imaginé, supe esos nombres, recordé esas canciones, ay gracias, pero saber, ¿cómo puedo saber ? […] invento paisajes, inventó ciudades […] ay, gracias, que me enseñaste lo que pudo ser mi vida » (243-4). Le passage est une reprise, une inversion de nombreux éléments de la carrière de Cruz : c’est de la même azotea qu’Artemio regarde l’exécution de Gonzalo ; tous deux entendent un bébé pleurer ; l’homme au balcon qui « esperaba el regreso de alguien o […] aguardaba la salida del sol » (234) rappelle la référence au « nouveau soleil » au moment de l’exécution de Gonzalo et annonce la position de spectateur de Cruz à la fête du Nouvel An, semblant attendre le retour de son propre fils. L’arme et les deux balles sont là, et la relation entre Lorenzo et Dolores est manifestement le reflet inversé de l’amour de Cruz pour Regina, jusque dans les retrouvailles projetées à la mer.
Bien sûr, Lorenzo meurt et c’est Jaime qui prend sa place à la réception. Dans une séquence complexe de trois pages (266-69), les souvenirs d’Artemio de ses derniers jours au bord de la mer à Veracruz avec Lorenzo sont brillamment superposés ou associés en alternance à un dialogue entre Artemio et Jaime. Les expressions disjointes des deux discours semblent se répondre, Jaime se jetant de manière ambigüe et ironique dans les questions et interpellations mentalement adressées par Artemio à son fils défunt. Les idéaux de Jaime, par exemple, deviennent une part de l’empire économique de Cruz (« Pero y ave, yo tengo otros ideales… ») et sont confrontés à l’universalité des idéaux de Lorenzo, symbolisés par l’océan : « al mar libre, al mar abierto, hacia donde corrió Lorenzo ». La vision d’une terre promise pressentie par Cruz et son fils (« distinguirán en la otra ribera un espectro de tierra, un espectro, sí … ») est douloureusement contrastée par la superficialité de la cérémonie des présents pour Ceballos : « ¿ Qué le parece esta fiesta ?... vacilón, qué rico vacilón, cha cha cha ». La juxtaposition la plus parlante est peut-être celle qui a lieu entre le leitmotif qu’emploie Artemio pour décrire ses espoirs à son fils (« lo esperaba con alegría esa mañana ») et la réalité du retour d’une figure bien différente « Bah ! llegó usted tarde ».
L’ultime identification entre père et héritier, Cruz et Ceballos, a lieu à la fête du Nouvel An dans le manoir de Coyoacán qui est une reproduction de la chambre de Ludivina, la zona sagrada originelle du roman. Cela est indiqué par la répétition d’une expression cruciale dénotant le caractère rebelle de la vie de Cruz. Jaime a rompu la règle sacrée selon laquelle personne ne doit parler à Cruz pendant les réceptions, et lorsqu’il est apostrophé à ce sujet, il répond avec défiance, « Esas reglas fueron hechas sin consultarme, don Artemio ». Cette rébellion rappelle la première leçon de vie d’Artemio, ne pas être « esclavo de los mandamientos escritos sin consultarte » (125) et à sa remarque à son rival pendant la réception : « el verdadero poder nace siempre de la rebeldía ». Artemio semble se reconnaître dans le jeune intrus : « dio la cara a Jaime y el joven lo miró sin pestañear … picardía en la mirada… juego de los labios y las quijadas… del viejo… del joven… se reconoció, ah… se desconcertó, ah » ; « se vieron a los ojos, se sonrieron ». Le motif se poursuit, l’opportuniste est prêt à prendre le pouvoir tandis que Lorenzo pourrit au flan d’une montagne. La malédiction de la chingada n’a pas été rompue.
La Divine Comédie mexicaine
En étudiant La mort d’Artemio Cruz par le prisme de La Divine comédie de Dante, il est possible de mettre en évidence une structure de la rédemption et la notion héritée pour l’essentiel de la religion catholique du bien et du mal qui remet en question et renverse symboliquement le déterminisme de la malédiction, que nous avons décrit. Fuentes a cité Dante comme l’influence la plus importante dans son travail, après Cervantès12, et décrit la voix du TÚ à Emmanuel Carballo comme une « especie de Virgilio que lo guía [a Artemio] por los doces círculos de su infierno13 ». Mon postulat est que les trois voix alternatives dans le roman YO, TÚ, Él, correspondent aux trois cantiche de la Commedia, et que la redemption de Dante par Béatrice et le Christ correspond à la rédemption d’Artemio par Regina et Lorenzo14. Beaucoup d’éléments du roman que je mets en avant peuvent, bien sûr, simplement faire référence plus largement au Catholicisme. Notre point de départ sera donc une correspondance schématique : Él, narration au passé, comme Inferno ; YO, narration au présent, comme Purgatorio ; TÚ, narration au futur comme Paradiso. Publié après le roman de Fuentes, mais offrant un contenu fascinant, L’Art de la mémoire de Frances Yates suggère que la Commedia est un procédé mnémotechnique pour se souvenir des péchés et de leur punition, et que ses cantiche correspondent aux trois parties de la prudence définis par Cicéron : memoria, qui est le fait de se souvenir des vices et de leur punition en Enfer, intelligentia, l’utilisation du présent pour la pénitence et l’acquisition de la vertu, et providentia, l’attente joyeuse de Paradis15. Les formes médiévales de la prudentia étaient les trois pouvoirs de l’âme définis par Saint Augustin comme la mémoire, la compréhension et la volonté, l’image de la Trinité dans l’homme16. Selon ce schéma, Él devient mémoire, YO intelligence, TÚ providence ou volontéEn étudiant La mort d’Artemio Cruz par le prisme de La Divine comédie de Dante, il est possible de mettre en évidence une structure de la rédemption et la notion héritée pour l’essentiel de la religion catholique du bien et du mal qui remet en question et renverse symboliquement le déterminisme de la malédiction, que nous avons décrit. Fuentes a cité Dante comme l’influence la plus importante dans son travail, après Cervantès12, et décrit la voix du TÚ à Emmanuel Carballo comme une « especie de Virgilio que lo guía [a Artemio] por los doces círculos de su infierno13 ». Mon postulat est que les trois voix alternatives dans le roman YO, TÚ, Él, correspondent aux trois cantiche de la Commedia, et que la redemption de Dante par Béatrice et le Christ correspond à la rédemption d’Artemio par Regina et Lorenzo14. Beaucoup d’éléments du roman que je mets en avant peuvent, bien sûr, simplement faire référence plus largement au Catholicisme. Notre point de départ sera donc une correspondance schématique : Él, narration au passé, comme Inferno ; YO, narration au présent, comme Purgatorio ; TÚ, narration au futur comme Paradiso. Publié après le roman de Fuentes, mais offrant un contenu fascinant, L’Art de la mémoire de Frances Yates suggère que la Commedia est un procédé mnémotechnique pour se souvenir des péchés et de leur punition, et que ses cantiche correspondent aux trois parties de la prudence définis par Cicéron : memoria, qui est le fait de se souvenir des vices et de leur punition en Enfer, intelligentia, l’utilisation du présent pour la pénitence et l’acquisition de la vertu, et providentia, l’attente joyeuse de Paradis15. Les formes médiévales de la prudentia étaient les trois pouvoirs de l’âme définis par Saint Augustin comme la mémoire, la compréhension et la volonté, l’image de la Trinité dans l’homme16. Selon ce schéma, Él devient mémoire, YO intelligence, TÚ providence ou volonté.
Dans de nombreux ouvrages de Fuentes, le désir de nier l’immuabilité du passé, pour en défaire le déterminisme et l’inévitabilité de ses structures aliénantes, est un agent puissant. L’idée est déjà formulée dans le premier roman : « noches rezando para que no suceda lo que ya sucedió » (La région, 378). Dans La muerte de Artemio Cruz, la voix du TÚ est perçue comme l’inverse de ce qui a été relaté dans les sections du Él, par exemple : « tú escogerás abrazar ese soldado herido que entra en el bosquecillo providencial » (246). Les cas les plus flagrants concernent la version de la rencontre entre Artemio et Regina, relatée comme idyllique alors qu’il s’agit d’abord d’enlèvement et de viol, et la présentation de la mort héroïque de Lorenzo comme une correction et un renversement de la lâcheté de son père dans le temps historique. Dans Terra Nostra, la modification du passé à travers le Théâtre de la Mémoire se produit à une échelle plus large et combinatoire, par exemple dans le passage où les communeros sont présentés comme victorieux à Villalar.
Les difficultés et le mystère de la voix du TÚ vont bien au-delà des techniques de La Modification de Butor ou les dilemmes de la destinée et de la liberté dans L’Être et le néant, qui ont avec raison été convoqués dans ce contexte17. Raconter le passé dans le futur (« Ayer volarás » (13)) revient à parler en même temps de liberté et de prédestination. La stridence syntaxique et sémantique du texte de Fuentes mise à part, beaucoup d’interlocuteurs de Dante se situent dans une position similaire, car ils savent autant du passé que du futur. C’est par exemple le cas de Cacciaguida :
Cosí vedi le cosa contingenti
anzi che sieno in sè, mirando il punto
a cui tutti i tempi son presenti. (Para., xvii. 16-18)18
Et dans la fameuse prédiction de son exil, il raconte en 1300, l’année au cours de laquelle se déroule selon le texte l’action de la Commedia, des choses qui arriveront à Dante dans le futur, alors que ces dernières avaient en fait déjà eu lieu avant l’écriture du poème : « Tu proverai sí come sa di sale / lo pane altrui » (Para., xvii. 58-9). Pour Dante, cette prédestination n’affecte pas la liberté, ce n’est pas une destinée fixée à l’avance, de même que le mouvement d’un bateau n’est pas déterminé par son reflet dans les yeux qui l’observent19. De telles contradictions rationnelles ne peuvent être résolues que dans une vision qui est, d’une manière ou d’une autre, divine, ou dans l’esprit divin lui-même., où la temporalité n’existe pas. Dans la voix du Él, le déterminisme, forme moderne de la prédestination, est inébranlable, mais on peut percevoir une vision divine dans le TÚ. Seule cette perspective fournit un point d’entrée pour certaines expressions rationnellement incompréhensibles. Par exemple dans « la memoria es el desoe satisfecho / hoy que tu vida y tu destino son la misma cosa » (209), les trois dimensions du temps sont presque mystiquement réconciliées : mémoire ou passé, désir ou futur, satisfaction ou présent. De telles contradictions suggèrent un rôle rédempteur de la mémoire. La voix du TÚ que Fuentes associe au premier guide de Dante, Virgile, est l’équivalent dans ce contexte des interlocuteurs de Dante qui reconnaissent le futur dans le passé, lui indiquent la « diritta vía » et lui offrent une seconde chance : ils lui racontent ses tribulations futures (qui sont en fait passées) non plus comme une prédestination mais comme une possibilité de salut.
Un autre aspect essentiel de la Commedia pour le roman est le concept catholique du bien et du mal. Le concept anti-manichéen développé dans le « discours sur l’amour » de Virgile est inspiré de Saint Augustin, mais trouve chez Dante sa formulation classique. Le mal n’existe pas en tant que tel, et tous les péchés mortels trouvent leur origine dans l’amour pour un bien faussement perçu ou poursuivi d’une manière insuffisante ou excessive20. C’est ce que Virgile exprime en ces termes
Quinci comprender puoi ch’esser conviene
Amor sementa in voi d’ogni virtute
E d’ogni operazion che muerta pene. (Purg., xvii, 10365)
Le TÚ d’Artemio est de même incapable de concevoir le mal de manière isolée :
El mal. Tú nunca podrás designarlo. Acaso porque, más desmeparados [que los protestantes norteamaricanos], no queroemos que se pierda esa zona intermedia, ambigua, entre la luz y la sombra: esa zona donde podemos encontrar el perdón. Donde tú le podrás encontrar. ¿Quién no será capaz, en un solo momento de su vida – como tú, de encarnar al mismo tiempo el bien y el mal, de dejarse conducir al mismo tiempo por dos hilos misteriosos, de color distinto, que parten del mismo ovillo para que después el hilo blanco ascienda y el negro descienda y, a pesar de todo, los dos vuelvan a encontrarse entre tus mismos dedos? (33)
L’amour ne mène pas directement au salut, au pardon apparemment promis par la voix du TÚ. En montrant cela, Fuentes fait preuve du même mélange de tendresse et de cruauté que Dante dans la rencontre de Paolo et Francesca, le couple du poème le plus pitoyable. L’amour d’Artemio pour Regina, bien que présenté comme une union essentielle et une redécouverte du monde, le mène à sa première chute fondamentale : sa lâcheté et sa trahison dans la bataille en essayant de sauver sa vie pour son amour. Il abandonne un soldat blessé, qui est son jumeau et une part essentielle de lui-même, pour revenir au village et trouver son amante pendue. L’union entre les amants est frustrée si elle n’est pas corrélée à une union entre l’homme et la société, l’individu et une cause politique. Dans la Commedia cependant, c’est précisément l’ambigüité de l’amour qui permet le salut, et la fonction du Purgatoire est de purger les fautes de l’amour perverti, excessif ou insuffisant jusqu’à ce qu’il se renouvelle. Artemio Cruz et La Commedia font tous deux de l’amour pour une femme (Regina-Béatrice) leur point de départ, et cet amour nourrit leur symbolisme le plus intime. Le discours de Cruz sur son lit de mort purge les fautes de son amour pour une femme et un pays.
Les correspondances entre les schémas symboliques des deux œuvres sont évidentes dans l’arche qu’elles forment entre deux forêts : dans Artemio Cruz, entre le « bosque bajo pero tupido » (74) de la lâcheté du protagoniste pendant la Révolution mexicaine et le « campo de álamos desnudos » (234) de l’héroïsme de son fils pendant la guerre civile ; dans la Commedia, entre « la selva selvaggia ed aspra e forte » (Inf., i. 5) où Dante se perd et la « divina foresta spessa e viva » (Purg., Xxviii. 2) du Paradis Terrestre. Dans les deux cas, les deux forêts sont le même lieu transformé par le processus de la rédemption21. Cette rédemption peut être perçue comme étant amenée par une femme : par Béatrice, d’abord sur terre, puis dans une forme semi-divine ; par Regina d’abord, puis par son double Dolores. Elle est aussi amenée par un homme : le Christ, fils de Dieu et d’Adam, et Lorenzo, fils d’Artemio.
L’épisode de la lâcheté d’Artemio et de l’abandon du soldat fait écho dans le détail à l’intrigue du roman de Stephen Crane sur la guerre civile américaine : L’Insigne rouge du courage. Il y a là un lien intéressant entre inter- et intra-textualité : un épisode de la guerre civile américaine est reflété dans un autre passage par un épisode similaire de la guerre civile mexicaine, qui est à son tour repris, avec un renversement de sens, par une scène de la Guerre d’Espagne, dans laquelle Lorenzo répète de nombreuses actions accomplies par son père. Mais Lorenzo meurt en héros pour sauver ses compagnons et Dolores survit, là où meurt Regina.
Au début de son poème, Dante est perdu dans une forêt : « mi retrovai per una selva oscure / che la diritta vía era smarrita ». Il est moralement égaré dans sa vie publique après avoir perdu de vue l’exemple de Béatrice. Béatrice est porteuse de plusieurs significations : elle est la femme réelle et idéale de la poésie des débuts de Dante, elle est Florence, l’Empire et l’Eglise22. Voyant depuis le Paradis que Dante va droit vers la damnation en dépit de ses vertus, elle décide de lui montrer le sort funeste des « perduta gente » et descend aux Enfers pour demander à Virgile de montrer l’Inferno à Dante. Lorsque ce dernier quitte l’Enfer, il escalade avec Virgile les degrés du Mont Purgatoire jusqu’à la frontière du Paradis Terrestre, où il rejoint Béatrice qui l’amène à travers les sphères célestes jusqu’à ce que lui soit accordé l’ineffable vision de la divinité. On peut dire que Regina représente la Révolution comme Béatrice représente l’idéal de l’empire. L’amour qu’Artemio lui porte témoigne du même mélange de tendresse et de violence qui caractérise la Révolution. Pour Octavio Paz, la révolution est une tentative de restaurer un âge d’or mythique23, et c’est peut-être pourquoi on trouve en superposition du viol brutal de Regina dans un village pris par les forces révolutionnaires, la rencontre idyllique sur les berges du fleuve, qui est clairement le même que celui au bord duquel Artemio a vécu un début de vie paradisiaque avec Lunero à Cocuya. La mort symbolique de Regina lorsqu’Artemio trahit son « jumeau » signale la dégénérescence progressive de tout idéalisme politique chez
La scène de la forêt marque ainsi la chute d’Artemio, qui, comme Dante, réalise qu’il est perdu : « El hilo està perdido. El hilo que le permitió recorrer, sin perderse, el laberinto de la guerra » (78). De cette forêt, guidé par le TÚ, il descend vers l’enfer de sa vie. La forêt est en fait suspendue entre paradis « bosquecillo providencial » (75) et enfer : « más arriba no había luz : el cielo descendió un peldaño y era un cielo de pólvora » (74). Regina, pendue à un arbre par les federales, est elle-même un arbre, et ses yeux des cerises noires : « cerezas oscuras del árbol de carne y entrañas calientes » (81). Plus tard au cours de sa vie, par exemple à Coyacàn, Artemio s’efforce de recréer son premier jardin, « el jardin sombreado de cerezos » (258). Mais dans la réalité, Catalina insiste sur le fait qu’il ne retrouvera jamais son jardin originel : « Quizás tuviste tu jardin. Yo también tuve el mío, mi pequeño paraíso. Ahora ambos lo hemos perdido » (113).
Chez Dante, la deuxième forêt importante, avec en particulier un de ses arbres, se trouve à la fin du Purgatorio. Virgile a conduit Dante jusqu’au fleuve qui constitue la frontière du Paradis Terrestre, d’où il observe une cérémonie liturgique au cours de laquelle le mât du Chariot de l’Eglise est détaché et posé contre un arbre desséché qui refleurit aussitôt. Le mât fonctionne comme une allégorie de la Croix, fabriquée à partir du bois de l’Arbre de Vie, à côté duquel Adam a péché. Le retour de la Croix à ses origines symbolise la rédemption d’Adam après sa Chute par la Crucifixion, et, comme en témoigne l’arbre qui refleurit, de la descendance d’Adam24. Béatrice attend Dante de l’autre côté du fleuve. Après sa confession, Dante perd connaissance et une femme prénommée Matilda l’aide à traverser jusqu’à l’autre rive. En prélude à son ascension vers le Paradis, Dante doit traverser deux cours d’eau, et il traverse le second avec Béatrice, main dans la main. Les deux fleuves sont le Lethé et l’Eunöe ; le premier lui fait tout oublier, le second, fleuve du « souvenir béni », lui rend la mémoire de ses péchés, mais elle est à présent libérée de la culpabilité, et transformée en promesse de Grâce.
Sans insister sur ce point outre mesure, il est significatif qu’une des caractéristiques principales du roman est l’évocation du souvenir et de l’oubli en contrepoint. Artemio, par exemple, souhaiterait oublier les motivations les moins honorables à l’œuvre dans son mariage, à savoir l’intérêt financier : « Él deseaba borrar el recuerdo del origen y hacerse querer sin memorias del acto que la obligó a tomarlo por esposo » (101). Mais avant de pouvoir oublier, il doit faire face à l’enfer de sa mémoire. Regina, pleine de compassion, propose d’effacer la brutalité de sa rencontre avec Artemio, mais d’une certaine manière, cela ne peut se faire que lorsqu’il aura, par procuration, traversé la rivière en Espagne. Le souvenir de la rencontre ne sera purifié que lorsque celle-ci aura été rejouée par Lorenzo et Dolores, qui est une deuxième Regina25. En décrivant le peintre Féliz Cuevas, Fuentes semble parler de son propre roman : « El arte de Félix Cuevas es, a la vez, una memoria indecible y una promesa que habla con los acentos de la resurrección. Una resurrección es una transfiguración: es la imagen del origen sensiblemente re-aparecida26 ».
Face à la défaite de l’armée républicaine espagnole en 1939, Lorenzo et son compagnon Miguel décide de passer les Pyrénées pour rejoindre la France. Ils rencontrent trois femmes qui les accompagnent, Dolores, Nuri et María, qui rappellent peut-être les trois femmes guides chez Dante, Beatrice, Lucia et la Vierge Marie. A l’approche du pont par lequel ils doivent traverser une rivière déchaînée, ils passent par un « campo de álamos desnudos ». La densité du langage symbolique associé à la rivière suggère immédiatement l’importance de cette dernière : « El puente se alargaba, parecía atravesar un océano y no este río encabritado27 » (236). De par les images utilisées, cette rivière est associée au « Tajo de España [que] se abre de mar a mar’ (237). Dans la Commedia, le Lethé est comparé à l’Hellespont, qui, de fait, lie deux continents. Le fleuve espagnol relie deux mers, la Méditerranée et le Golfe du Mexique, et les destinées de deux hommes, Lorenzo et son père. Lorenzo avait déjà traversé un cours d’eau avec son père à Cocuya, où « distinguirán en la otra ribera un espectro de tierra » (167), le même cours d’eau où, dans la version idéalisée, Artemio rencontre Regina.
Cruz. Lorenzo hésite avant de traverser car il craint que le pont ne soit piégé, mais Dolores prend sa main et lui donne du courage : « Él dudó un momento, Ella no. Los diez dedos unidos les dieron calor » (235). Au-delà du pont se dresse la somptueuse et manifestement transcendantale vision d’un orme :
Del otro lado del río, surgió lo que no habían visto. Un gran olmo sin hojas, grande, hermoso, blanco. No le cubría la nieve, sino un hielo brillante. Brillaba como una joya, de tan blanco, en la noche […] así de ligero, luminoso y blanco le paracía ese olmo que los esperaba […] Corrieron y abrazaron el tronco desnudo, blanco y cubierto de hielo, le mecieron mientras esas perlas de frío caían sobre su cabezas, se tocaron las manos abrazándolo y se separaron violentamente de su árbol para abrazarse Dolores y él […] « Qué tibia Lola, qué tibia eres y cómo te amo ya ». (236)
Si l’on considère tout particulièrement la mort de Lorenzo, ce magnifique orme semble jouer le même rôle dans La mort d’Artemio Cruz que l’arbre du Paradis Terrestre régénéré par le sacrifice du Fils. L’amour de Lorenzo et Dolores est scellé par leur étreinte de l’arbre, puis leur étreinte mutuelle, et à travers eux, Artemio est comme réuni avec Regina, de même que Dante l’est avec Béatrice dans le passage équivalent. Le jour suivant, Lorenzo meurt, tué par la mitrailleuse d’un avion alors qu’il tente de défendre ses compagnons. La passion de Lorenzo rend possible la purification d’Artemio à travers l’enfer et le purgatoire de sa mémoire, les fleurs nouvelles des graines de l’amour et la révolution à l’intérieur de cet ancien révolutionnaire. Lorenzo revit et corrige l’histoire de son père et est par là-même le Christ rachetant les péchés d’Adam28.
La mort sans fin
Le poème Mort sans fin de José Gorostiza joue le rôle d’une sorte de fantôme intertextuel face à la foi confiante de la Commedia. Avec la trinité comme thème central, il procure une des épigraphes du roman : « … ¡de mí y de Él y de nosotros ! ¡tres siempre tres ! ». Il refait surface dans un chapitre où la tension entre liberté et destin, unité et dispersion, projet utopique et réalité tyrannique est plus palpable que jamais. Le dernier fragment exclusivement dominé par la voix du TÚ semble simultanément décrire la vision du jeune Artemio laissant derrière lui ses origines à Cocuya et celle du vieillard mourant. La nuit et les étoiles en sont la toile de fond, et si l’on accepte la présence de Dante comme influence constante, on ne peut que voir là une évocation des étoiles qui ferment les trois cantiche de la Commedia. Dans l’Inferno, elles représentent la beauté et l’espoir après les horreurs de l’enfer : « e quindi uscimmo a riveder le stelle ». Dans le Purgatorio, elles sont la promesse du Paradis après la purification dans les eaux de l’Eunöe : « lo ritornai dalla santissim’onda / riffato […] / pur e disposto a salire a la stelle ». Dans le Paradiso, l’amour divin, moteur éternel, prête au monde un mouvement similaire de la volonté humaine aux étoiles : « l’amor che move il sole e l’altre stelle ».
Vers la fin du poème de Gorostiza, l’unité ou l’harmonie totale, cependant fugace, entre l’homme et son créateur, l’eau et le verre, se réduit à un espoir pathétique et non fondé. Dieu est une étoile morte dont la lumière continue de voyager à travers l’univers et dans l’esprit des hommes, mais n’a plus d’origine
de ti, que sigues presente
como una estrella mentida
por su sola luz, por una
luz sin estrella, vacía,
que llega al mundo escondiendo
su catástrofe infinita.29
L’étoile que contemple le jeune Artemio semble être la même : « Muerto en su origen lo que estará vivo en tus sentidos… Perdido, calcinado, el manantial de luz que seguirá viajando, ya sin origen, hacia los ojos de un muchacho en une noche de otro tiemo… » (312). Lorsque la lumière de l’étoile de sa jeunesse parviendra au vieillard mourant avec ses promesses et ses trahisons, ce sera une lumière sans origine. L’ « amor che move il sole e l’altre stelle », le plan divin ou mythique où le chaos prend forme et les opposés peuvent être réconciliés est absent. La structure de la rédemption tracée par la mort de Lorenzo est altérée, et le temps divin ayant disparu, un temps marqué par l’isolement ne paraît guère suffisant : « tiempo que sólo existirá en la reconstrucción de la memoria aislada, en el vuelo del deseo aislado » (312).
Dans sa vision ultime dans le Paradiso, Dante a le privilège de la connaissance qu’Artemio recherche, l’ineffable :
Nel suo profundo vidi che s’interna,
legato con amor in un volume
ciò che per l’universo si squaderma;
sustanzia ed accidenti e lor costume,
quasi conflati insieme per tal modo,
che ciò ch’io dico é un semplice lume.
La forma universal di questonodo
credo ch’io vidi. (Para., xxxiii, 85-92)
La voix du TÚ de Cruz est une intuition de la « forma universal » de Dante, qu’il appelle « orden universal » et Gorostiza « pura forma ». Dans le poème de Gorostiza, les opposés qui s’attirent, la forme et le contenu, Dieu et l’homme, sont réconciliés mais seulement à l’instant même de la mort absolue et définitive :
En la red de cristal que la estrangula,
el agua toma forma
[…] un instante, no más,
no más que el mínimo
perpetuo instante del quebranto,
cuando la forma en sí, la pura forma,
se abandona al designio de su muerte
y se deja arrastrar, nubes arriba,
por ese atormentado remolino
en que los seres todos se repliegan
hacia el sopor primero,
a construir el escenario de la nada.
Las estrellas entonces ennegrecen.
Han vuelto el dardo insomne
a la noche perfecta de su aljaba.
Pour Cruz, la liberté et la destinée, l’individu et l’autre, la réalité et le désir seront de même réconciliés, ce qui était « squadernato » sera réuni en « un volume », mais le secret, en l’absence de tout paradis où de tels volumes pourraient être conservés, n’aura jamais de lecteur : « Vas a ser el punto de encuentro y la razón del orden universal […]. Para que tú encuentres el secreto y mueras sin poder participarlo, porque sólo lo poseerás cuando tus ojos se cierren para siempre » (313).
Les trois ouvrages ici considérés reposent sur la forme de la trinité qui est au final une unité. Ce mystère est pour Dante de nature chrétienne orthodoxe. Dans Artemio Cruz, l’unité désirée serait l’union inconcevable des trois voix, avec leurs trois dimensions temporelles. Dans le poème de Gorostiza, la trinité est harcelée par l’unité, mais cette unité est le néant. C’est le mystérieux troisième élément de Dieu, Moi et … ; verre, eau, et … A un certain moment du poème, c’est une intelligence abstraite, stérile, qui refuse de prendre corps dans la langue :
sin admitir en su unidad perfecta
el escarnio brutal de esa discordia
que nutren vida y muerte inconciliables. (Gorostiza, 112)
Complice de la mort, cette intelligence se moque de la possibilité de toute union :
Con Él, conmigo, con nosotros tres ;
como el agua y el vaso, sólo una
que reconcentra su silencio blanco
en la orilla letal de palabra ; (Gorstiza, 113)
On trouve dans Artemio Cruz un passage en résonnance : « El niño, la tierra, el universo: en los tres, algún día, no habrá ni luz, ni calor, ni vida… Habrá sólo la unitad total, olvidada, sin nombre y sin hombre que la nombre » (313).
Une grande partie de La muerte de Artemio Cruz s’articule autour de la nostalgie du paradis, le Paradis visité par Dante, celui qui s’incarne dans l’arbre des Pyrénées. A nouveau, la vision terrifiante de Gorostiza vient défaire l’espoir généré par la structure dantesque. A la fin, les origines ne seront pas dans la vie paradisiaque avec Lunero à Cocuya, mais dans le silence :
Cuando todo […]
regresa a sus orígenes
y al origen fatal de sus orígenes
hasta que su mismo eco se instala
en el primer silencio tenebroso (Gorostiza, 124)
Pour Fuentes aussi, l’entropie est au bout du chemin : « El sol se está quemando vivo, el fierro se está derrumbando en polvo, la energía sin rumbo se está dispando en el espacio, las masas se están gastando en la radiación, la tierre se está enfriando de muerte … » (312-3).
Dans La muerte de Artemio Cruz, Dante et Gorostiza ne s’annulent pas, ils coexistent et dialoguent. Le désir d’ordre et d’amour, d’une révolution qui incarnerait les idéaux de Lorenzo, cohabite et dialogue avec la conscience de la mort, la fragilité des entreprises humaines, la malédiction de Ludivinia, la chingada. Ce dialogue est la conscience tragique du mal dans le bien, de la tyrannie et la corruption dans la révolution.
NOTES
[1] Pour une excellente analyse de l’importance de la Guerre d’Espagne dans La Mort d’Artemio Cruz, et la pertinence de la Révolution Cubaine dans l’écriture du roman voir, Maarten van Delden, Carlos Fuentes, Mexico and Modernity (Nashville, Tenn: Vanderbildt University Press, 1998), 58-60.
[2] Tiempo mexicano (México: Joaquín Mortiz, 1978), 41, l’abréviation TM pourra être utilisée.
[3] « La Ilíada descalza », Valiente mundo nuevo, 180.
[4] Ou treize, selon José Carlos Gonzàlez Boixo dans l’utile introduction à son édition de La Mort D’Artemio Cruz (Madrid: Cátedra, 1998), 30.
[5] Poemas, 234. Le dialogue entre les deux temporalités est encore plus spectaculaire dans « Piedra de sol » : « busco une facha viva como un pájaro » (Poemas, 263) ; « el mundo reverdece si sonríes / comiendo une naranja, / el mundo cambia si dos, vertiginosos y enlazados, / caen sobre la yerba » (272-3) en comparaison avec la séquence qui débute par « y el festín, el destierro, el primer crimen / la quijada del asno, el ruido opaco / y la mirada incrédula del muerto / al caer en el llano ceniciento, Agamenón y su mugido inmenso / y el repetido grito de Casandra » (273). Publié la même année que La Mort D’artemio Cruz, Le Siècle des Lumières de Carpentier fait alterner en une tension tragique le temps mythique, féminisé, de la mer et la cruauté et l’inconstance de l’histoire sur la terre
[6] Pour une discussion de la validité de ces interprétations, voir González Boixo, 88 et seq.
[7]Fuentes a décrit ce parallèle originellement établi dans l’article sur lequel se base la première partie de ce chapitre à María Victoria Reyzbal en ces termes : « Pero el propio Boldy propone una asimilación más audaz y, acaso, más inconsciente de mi parte,. Boldy llama la atención sobre la similitud fonética Hernán Cortés-Artemio Cruz. Las carreras de ambos comienzan en Veracruz. Barrenan las naves de su pasado. Violan a Marina-Regina ; Someten a Bernal-Moctezuma. Y se casan con Catarinas. Le juro que a mí nunca se le ocurió esto, pero voy a creer desde ahorra en estructuras automáticas y desplazamientos freudianos del trabajo onírico al trabajo material ». (« Mantener un lenguaje o sucumbir al silencio », en Julio Ortega, ed., Retrato de Carlos Fuentes (Barcelona: Galaxia, Gutenberg /Circulo de Lectures, 1995) 87).
[8] L’amour d’Artemio pour sa femme Catalina est lui-aussi duel, mais l’ordre des facteurs est inversé. On apprend qu’elle est obligée de l’épouser dans le cadre d’un accord par lequel Cruz reprend les terres de Gamaliel Bernal en protégeant la famille. Il souhaite effacer le souvenir de cet événement, mais réalise que les apparences sont contre lui, même s’il en était amoureux avant même ce pacte : « Ėl deseaba borrar el recuerdo del origen y hacerse querer sin memorias del acto que la obligó a tomarlo por esposo […] ¿Cómo hacerle creer que la había amado desde el momento que la vio pasar por une calle de Puebla, antes de saber quién era ? » (101).
[9] Cet aspect est clairement évoqué par González Boixo, 12.
[10] Voir Enrique Krauz, Mexico: Biography of Power. A History of Modern Mexico, 1810-1996, translated by Hanks Haifetz (New York: Harper Collins 1997), 135-51.
[11] Bethell, ed., Mexico since Independence (Cambridge, CUP, 1991), 51.
[12] Voir Wendy Faris, Carlos Fuentes (New York: Frederick Ungar, 1983), 9.
[13] Voir René Jara, « El mito y la nueva novela hispanoamericanan: a propósito de La muerte de Artemio Cruz, dans Homenaje, 174.
[14] Gergina García Guttiérez, dans Los disfraces: la obra mestiza de Carlos Fuentes (Mexico City: Colegio de México, 1981), 19, suggère que la triade dans laquelle Artemio se trouve tiraillé correspond à la trinité catholique.
[15] Voir France Yates, L’Art de la mémoire (Hardmonsworth: Penguin, 1978), 104.
[16] Voir Yates, 62.
[17] Voir R. Reeve, « Carlos Fuentes y el desarollo del narrador en segunda persona: un ensayo exploratorio », et C. Allen, « La correlación entre la filosofía de Jean-Paul Sartre y La muerte de Artemio Cruz de Carlos Fuentes » dans Homenaje, 75-87.
[18] Les citations de Dante sont tirées de La Divina Commedia, Miano: Lucchi, 1967.
[19] Voir le commentaire de Sinclair dans Dante, The Divine Comedy, Vol. 3.
[20] Voir l’introduction de Sayers à The Comedy of Dante Alighieri the Florentine Cantica II. Purgatory, trad. De Dorothy L. Sayers (Hardmonsworth, Penguin, 1965), 66.
[21] Voir Sayers, 293.
[22] Pour un traitement plus complet du personnage de Béatrice, voir Charles Williams, The Figure of Beatrice. A Study in Dante (London: Faber and Faber, 1950).
[23] Voir Le labyrinthe de la solitude, 129.
[24] Voir Sayers, 326-7
[25] Borges, dans « La otra muerte », L’Aleph, propose un exemple similaire de mémoire et passé transformé par la grâce divine. Pedro Damián se voit offrir la chance de mourir en héros dans une bataille à laquelle il a survécu quarante ans plus tôt grâce à sa lâcheté : « Así, en 1946, por obra de una larga pasión, Pedro Damián murió en la derrota de Masoller, que occurió entre el invierno y la primavera de 1904 » (575).
[26] Casa con dos puertas, 239.
[27] Sur le symbolisme du fleuve et de l’arbre, voir Liliana Befumo Boschi et Elise Calabrese, Nostalgia del futuro en la obra de Carlos Fuentes (Buenos Aires: Fernando García Cambeiro, 1974), 63-4 et 183.
[28] Sur Artemio comme Christ, voir, entre autres, Befumo Boscho, 27, 80-81, 85. Il y a beaucoup d’autres figures christiques dans les romans, qui meurent pour « racheter » l’autre, comme Felisberto dans « Chac Mool », Manuel Zamacona dans La Plus Limpide Région, Franz dans Peau Neuve.
[29] José Gorostiza, Mort sans fin, Héctor Valdés, ed., Los Contemporáneos: una antología general, (Mexico City: SEP/UNAM, 1982), 129. Les références et le titre original de cet article sont : BOLDY, Steven, « La muerte de Artemio Cruz, 1962. Father and Sons. Hystory and Myth », in The narrative of Carlos Fuentes. Family, Text, Nation, Durham modern languages series, University of Durham, 2002, pp. 75-103.
Traduit de l’anglais par Isabelle Cases, Maître de Conférences à l’Université de Perpignan Via Domitia
L’auteur
Steven Boldy est Professeur de Littérature hispano-américaine à l’Université de Cambridge, à l’Emmanuel College. Il est l’auteur de nombreuses monographies, telles The Novels of Julio Cortázar, The Narrative of Carlos Fuentes, A Companion to Jorge Luis Borges et A Companion to Juan Rulfo (London, Tamesis, 2016). Il a également consacré de nombreux articles à la littérature hispano-américaines, entre autres à des auteurs tels que Jorge Isaacs ou Alan Pauls. Il a récemment publié une monographie intitulée Carlos Fuentes y el Reino Unido (México, Fondo de Cultura Económica, 2017).